Cancer : l’efficacité du jeûne n’est pas démontrée

En l’absence de validation scientifique, il n’est pas recommandé aux personnes soignées pour un cancer de pratiquer le jeûne ou un régime restrictif.

Jeûner pour optimiser une chimiothérapie ou pour affamer ses tumeurs? Alors que le jeûne fait l’objet d’un engouement de la part du grand public en raison de ses potentielles vertus, un rapport très documenté vient récemment de doucher les espoirs. Publié en novembre par le Réseau national alimentation cancer recherche (NACRe), ce document affirme qu’il n’existe actuellement pas de preuve scientifique permettant de dire que le jeûne protège contre le cancer ou améliore l’efficacité des traitements. Au contraire, la perte de poids et de masse musculaire observée chez des patients dans certaines études suggère que celui-ci pourrait aggraver la dénutrition et la sarcopénie (perte de masse musculaire).

Un intérêt grandissant depuis les années 1940

Pour tirer ces conclusions, les membres du réseau NACRe (des médecins et chercheurs affiliés aux principaux organismes de recherche nationaux et aux centres de lutte contre le cancer) ont passé en revue quelque 250 études réalisées depuis la fin des années 1940. Celles-ci ont, pour la grande majorité, été faites sur l’animal. Ce n’est que depuis une petite dizaine d’années que la recherche chez l’homme s’intensifie.«Les études chez l’être humain sont peu nombreuses et de faible qualité, écrivent les auteurs du rapport. Si plusieurs centaines d’études expérimentales sur les animaux de laboratoire ont été publiées, celles-ci présentent des résultats divergents et des limites importantes, qui ne permettent pas d’extrapoler directement les résultats à l’être humain». Absence de groupe «contrôle» permettant de comparer les résultats obtenus sur un groupe soumis au jeûne, pas de suivi de l’évolution des tumeurs, de la toxicité des traitements, de la survie ou de la récidive… Les études présentent en effet de nombreux biais qui empêchent de conclure sur les risques et les bénéfices du jeûne vis-à-vis du cancer.

D’où vient le «mythe» du jeûne?

Dans les années 1930, le médecin suisse Édouard Bertholet et Herbert Shelton, éducateur de santé américain, ont vanté les mérites du jeûne dans la prise en charge du cancer. Ils ont ainsi affirmé que le jeûne pouvait conduire à une destruction des cellules cancéreuses et à un «nettoyage» des substances cancérogènes absorbées. Si leurs travaux ont longtemps servi de référence, ils ont toutefois été invalidés par l’actualisation des connaissances scientifiques. Malgré cela, dans un livre publié en 2015, une médecin suisse, Françoise Wilhelmi de Toledo, soutenait encore que le jeûne permettrait de diminuer les substances favorisant la prolifération des cellules cancéreuses (glucose, protéines, facteurs de croissance). Une hypothèse qui se heurte une nouvelle fois au modèle de la médecine fondée sur les preuves.

Sensibiliser aux risques

«Le jeûne est un fait social que les médecins et soignants ne peuvent ignorer, soulignent les scientifiques du réseau NACRe. Il est estimé qu’environ 4000 à 5000 personnes jeûnent en France chaque année, en dehors des jeûnes religieux et spirituels. Une étude sociologique réalisée en 2010 a permis d’en savoir plus sur ces jeûneurs. Il s’agissait pour la moitié de personnes âgées de 45 à 60 ans, principalement des femmes (70%), avec un niveau d’étude élevé. Les trois-quarts avaient déjà jeûné une fois ou plus (pendant quelques heures ou quelques jours).Les auteurs du rapport rappellent que les professionnels de santé doivent informer leurs patients de l’état actuel des connaissances scientifiques et les sensibiliser aux risques, en particulier de dénutrition. Si malgré ces mises en garde, le patient souhaite tout de même pratiquer le jeûne ou un régime restrictif, les auteurs recommandent de l’adresser à un diététicien ou à un médecin nutritionniste.