Cancer du sein: les gynécologues défendent le dépistage

À force de critiquer les mammographies systématiques, ces spécialistes estiment que l’on en oublie les bénéfices.

Pour une femme qui n’a pas de facteurs de risque particuliers de cancer du sein, comme des antécédents familiaux, le dépistage organisé par mammographies systématiques commence à 50 ans et se répète tous les deux ans jusqu’à 74 ans. Généralisé depuis 2004 en France et longtemps promu sans réserve, ce dépistage suscite des polémiques depuis quelques années. Elles ont désormais un retentissement visible dans le taux de participation. Après avoir progressé entre 2004 (42,5%) et 2011-2012 (52,7%), il baisse désormais pour s’établir à 51,5% en 2015.

En Alsace, région longtemps pionnière en matière de dépistage, le renversement de tendance est encore plus spectaculaire. «Dans le Bas-Rhin, on est passé de 60 % de participation en 2013 à 52% en 2016», s’inquiétait le Pr Carole Mathelin, chef du service de sénologie (maladie du sein) au CHU de Strasbourg, lors d’une conférence de presse du Collège national des gynécologues français (CNGOF ) le 21 juin.

Mais ce qui inquiète le Pr Mathelin ne concerne pas seulement les femmes âgées de 50 à 74 ans. «On observe une augmentation de la taille des cancers chez les femmes de moins de 50 ans et celles de plus de 74 ans, qui ne sont pourtant pas concernées par le dépistage mais qui attendent pour consulter car elles ont entendu parler de surdiagnostic et de surtraitement», souligne-t-elle. Deux inconvénients bien identifiés du dépistage, mais qui n’ont rien à voir avec la situation d’une femme repérant des symptômes: grosseur au sein ou sous l’aisselle, lésion persistante de la peau (creux, rougeur, ulcération), écoulement du mamelon, etc. Des signes valables aussi pour le cancer du sein des hommes (1000 cas par an) et qui doivent conduire à consulter son généraliste quel que soit l’âge.

En dehors de ces cas, respecter la tranche d’âge fixée par le dépistage est important. Même si environ 10.000 des 54.000 cancers du sein recensés en France en 2015 surviennent avant 50 ans (et 12.000 après 74 ans) car les experts considèrent que les inconvénients du dépistage dépassent les bénéfices en dehors de la fenêtre d’âges visée par le dépistage organisé. Certaines femmes pensent se protéger du cancer grâce à la mammographie.  «C’est une pensée magique que l’on rencontre souvent, explique Natacha Espié, psychologue et présidente de l’association Europa Donna France, mais, à l’autre extrême, il y a celles qui ne se font pas dépister par peur du diagnostic.» Surdiagnostic d’un côté, sous-diagnostic de l’autre.

Une étude de médecins généralistes publiée dans Exercer en 2012 montrait que près de 40 % des femmes qui ne participaient pas au dépistage organisé invoquaient le prétexte d’un dépistage individuel dans les deux années précédant l’enquête. «Le dépistage organisé sauve des vies ; si certains en doutent, nous, société savante, nous n’en doutons pas», explique le Pr Israël Nisand, président du CNGOF. Une réduction de mortalité d’au moins 20%. Encore est-il utile de raisonner en nombres absolus, car le risque de mourir d’un cancer du sein est faible, mais il dépend de l’âge. Si, de la naissance à la mort, on suit 1000 femmes exposées aux risques observés en 2012, on aura 40 décès par cancer du sein: 0,5 parmi les femmes âgées de 30 à 39 ans, 1,7 entre 40 et 49 ans, 3,7 entre 50 et 59 ans, 5,9 entre 60 et 69 ans, 8,1 entre 70 et 79 ans et 20,1 à partir de 80 ans.

Il faut aussi tenir compte des progrès thérapeutiques. Entre un tiers et deux tiers de la réduction de mortalité observée dans les études serait attribuable aux traitements. Il n’empêche que le dépistage permet de repérer des tumeurs de plus petite taille que lorsque l’on attend l’apparition de symptômes, et, bien que la taille ne soit pas le seul déterminant du pronostic, elle joue un rôle important. «Cela signifie aussi des traitements moins pénibles et une meilleure qualité de vie», explique le Pr Mathelin.

Source