
Écrans et jeunes enfants: comment garder le contrôle?
Plutôt que de les diaboliser, il est préférable d’intégrer les écrans dans une démarche éducative, en accompagnant l’enfant dans son utilisation.
«Pas d’écrans avant trois ans». Voilà déjà dix ans que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) lançait sa première alerte sur les risques d’une exposition précoce aux écrans. Un message qui s’apprête à être de nouveau relayé à la télévision et à la radio ce mois-ci, avec l’approbation de la ministre de la Santé. «Nous voyons aujourd’hui combien cette alerte était nécessaire et combien cet enjeu est toujours d’actualité», a souligné Agnès Buzyn jeudi, à l’occasion d’une conférence de presse.
Les enfants sont aujourd’hui exposés dès le plus jeune âge à un arsenal numérique. Tablette, ordinateur, télévision, smartphone… Les familles possèdent en moyenne pas moins de cinq écrans. Cette révolution technologique, accessible à tous (ou presque), a assurément bouleversé notre façon de communiquer, de consommer, d’apprendre. Mais, faute de recul suffisant, il est encore bien difficile d’évaluer les conséquences de ce changement sur les jeunes enfants.
En l’absence de consensus, des voix s’élèvent régulièrement pour dénoncer la toxicité des écrans. En janvier dernier, le magazine «Envoyé spécial» avait par exemple relayé les propos d’un médecin affirmant que la surexposition aux écrans serait responsable de troubles proches de l’autisme. Des propos rapidement invalidés par la communauté médicale.
Motricité, langage et empathie
«À ma connaissance, il n’y a pas d’études démontrant que le cerveau des très jeunes enfants serait modifié physiologiquement par les écrans. En revanche, on sait que les apprentissages avant 3 ans sont très nombreux et cruciaux pour leur devenir», souligne le Dr Serge Tisseron. Ce psychiatre et docteur en psychologie est à l’origine du slogan «pas d’écrans avant trois ans» repris par le CSA. «Tout le temps passé devant un écran avant 3 ans écarte l’enfant des apprentissages fondamentaux qu’il doit faire», explique-t-il.
Retard dans l’acquisition de la motricité fine, difficultés dans l’apprentissage du langage ou encore diminution de la capacité d’empathie seraient les corollaires d’un trop-plein d’écran. «Des études ont également trouvé un lien entre le temps passé devant des écrans durant la petite enfance et la fréquence de comportements d’attaque ou de fuite», ajoute le médecin. D’autres travaux ont montré que l’usage intensif des écrans dans la petite enfance pourrait réduire les capacités d’attention. «Mais ces effets restent très difficiles à évaluer, rappelle le médecin. Nous ne pouvons pas mettre des humains en cage et les exposer à des écrans, beaucoup de facteurs entrent en compte».
Même si le doute persiste quant aux risques éventuels, il n’est pas souhaitable de diaboliser les écrans, comme l’explique Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement (Université Paris Descartes/LaPsyDE/CNRS). «Les écrans sont partout et on ne peut pas les supprimer, ne mettons pas les parents de facto dans une situation d’échec en les faisant culpabiliser», défend le chercheur. Un point de vue partagé le Dr Tisseron. «Il ne faut pas penser les écrans en termes de toxicité, c’est une bêtise. Ce n’est pas plus toxique que la nourriture. Mais si vous mangez trop, vous risquez une indigestion».
Intégrer les écrans dans une démarche éducative
Si le mot d’ordre reste «pas de télévision» avant trois ans, Serge Tisseron estime qu’au-delà de cet âge, il est primordial d’intégrer les écrans dans une démarche éducative. «C’est exactement ce que l’on fait avec les repas: on apprend à l’enfant à bien se tenir à table, on l’éduque à apprécier les aliments, à ne pas manger entre les repas. Mais encore une fois, ce ne sont pas des enseignements qui sont possibles chez les tout-petits». Par contre, l’utilisation d’une tablette n’est pas contre-indiquée selon le médecin, à condition qu’elle soit accompagnée par un adulte et qu’elle soit de courte durée, 10-15 minutes.
L’exposition des enfants aux écrans n’est pas incontrôlable: les parents ont un véritable rôle à jouer, et cela dès le plus jeune âge de leur enfant. «Les écrans sont souvent utilisés comme des nounous virtuelles mais il faut le dire et le redire: il ne faut pas laisser les enfants s’autoréguler face aux écrans, ils n’en sont pas capables», rappelle Grégoire Borst. Pour aider les parents quelque peu démunis, le Dr Tisseron leur livre le secret des «quatre A»: alternance, apprentissage, autorégulation et accompagnement.
«L’enfant ne doit pas grignoter des écrans toute la journée, il faut lui donner une contrainte de temps et une tranche horaire»
«L’enfant ne doit pas «grignoter» des écrans toute la journée, il faut lui donner une contrainte de temps et une tranche horaire», poursuit-il. En outre, il faut accompagner l’enfant dans sa relation aux écrans, notamment en discutant avec lui de ce qu’il a vu ou fait avec. «Même si les écrans peuvent apprendre des choses aux enfants, ils ne leur donnent pas la capacité narrative, c’est-à-dire la capacité de raconter. Or c’est en parlant qu’on apprend à parler». Les parents ont également un rôle à jouer dans le choix du contenu. «C’est une façon de s’intéresser à l’enfant, de recréer du lien», abonde Grégoire Borst. Mais aussi de sélectionner les jeux ou les vidéos les plus intéressants et adaptés à l’enfant.
Finalement, «la seule manière de contrôler son utilisation des écrans est d’apprendre à les utiliser», résume Serge Tisseron. Dernier conseil du psychiatre: proposer à l’enfant d’autres activités. «Les ludothèques regorgent de jeux fantastiques et le dessin est aussi un formidable support du développement de l’enfant».
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